Au-delà du sacré
Le jeudi 6 mars 2025

Entretien avec Maëlle Dequiedt, metteuse en scène du Stabat Mater.
Quel a été votre point de départ pour Stabat Mater ?
Le point de départ a été la partition de Scarlatti. Nous sommes partis de la structure de l’œuvre musicale, en envisageant chaque morceau comme un tableau. Nous avons cherché à les traduire en images, tout en explorant l’écho intime que cette musique pouvait provoquer en nous aujourd’hui. Mettre en scène cette œuvre est une aventure inédite : il n’y a pas, a priori, de fiction ni de personnages. Nous sommes donc partis de sa dramaturgie interne pour explorer ses thématiques profondes, telles que la famille, le sacré et la figure de la mère. Nous avons ensuite tiré plusieurs fils et entremêlé diverses sources d’inspiration : le contexte historique de l’époque, où l’autorité religieuse exerçait un pouvoir sur la création musicale, mais aussi des cinéastes comme Chantal Akerman, qui interroge les liens filiaux, ainsi que des performances de Gina Pane ou encore les artistes de l’arte povera. Nous nous sommes également nourris de matières issues de nos propres vécus. Tout est entremêlé. Nous avons été poreux à différentes influences, toujours en lien avec la musique, dans une recherche constante entre théâtre et musique.
Comment traitez-vous la dimension sacrée de cette musique ?
Il est vrai que cette musique était destinée à être jouée dans les églises ; elle appartient à ce contexte-là. Pourtant, nous avons fait le choix de la sortir du cadre religieux et de la libérer d’une certaine précaution avec laquelle on pourrait l’aborder. J’ai souhaité instaurer un rapport intime avec cette musique sans nécessairement y associer une foi chrétienne. Nous avons cherché à explorer les zones qui débordent du cadre strictement religieux, qui parlent d’autre chose. Au-delà du sacré, ce qui m’intéresse profondément, ce sont les grandes questions universelles qu’elle soulève : le rapport au deuil, à la mort, à la mère. Nous avons voulu aborder toutes ces interrogations métaphysiques.
« C’est une œuvre religieuse, certes, mais elle porte en elle une grande sensualité : c’est une musique qui appelle le corps, la danse. » Maëlle Dequiedt
Stabat Mater – littéralement « la mère se tenant debout » – renvoie aux premiers vers d’un poème écrit en latin au XIIIe siècle par Jacopone da Todi. Quelle place prend cette figure féminine dans votre spectacle ?
Dans le poème, la mère est une figure mystérieuse. Elle pleure la mort de son fils, mais n’a jamais le droit à la parole. On parle de son chagrin, mais toujours à la troisième personne. Elle est une figurante dans sa propre histoire. J’ai voulu redonner sa place à cette figure féminine et me demander ce qu’elle aurait à dire aujourd’hui. Le spectacle se termine par un dialogue entre une mère et son fils. Nous avons imaginé : De quoi auraient-ils parlé ?
Propos recueillis par Solène Souriau • mars 2025
Le saviez-vous ?
Il existe quatre Stabat Mater de Scarlatti, mais ils n’ont pas été composés par la même personne. En effet, celui de Domenico est conçu la même année que le premier de son père Alessandro, lequel en a écrit trois, dont l’un est perdu, et le plus célèbre date de 1724. On regrettera que Francesco Scarlatti, frère d’Alessandro et compositeur également, n’ait pas lui aussi composé de Stabat Mater !